Publié le :
09/04/2025 15:49:41
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Dans le monde de l’œnologie, certaines notions techniques gagnent à être mieux comprises, car elles influencent directement la perception d’un vin au verre. Surtout quand il s’agit de ce que l’on considère généralement comme des défauts. L’acidité volatile du vin en fait partie. Souvent évoquée pour expliquer une déviance aromatique, elle est pourtant naturellement présente dans tous les vins. Encore faut-il savoir de quoi il s’agit, et à partir de quel moment elle devient problématique.
L’acidité volatile désigne l’ensemble des acides organiques volatils présents dans un vin, c’est-à-dire ceux qui ont la capacité de s’évaporer à température ambiante et de se percevoir facilement à l’olfaction. Ces acides sont dits « volatils » car ils passent partiellement dans la phase gazeuse et participent à l’expression aromatique du vin — parfois de manière bénéfique, parfois au détriment de son équilibre.
Le principal composant de cette acidité est l’acide acétique, parfois accompagné d’autres acides comme l’acide formique. À noter que l’acide acétique est le même composé que celui que l’on retrouve dans le vinaigre.
L’acidité totale inclut l’ensemble des acides présents dans le vin, qu’ils soient volatils ou non (tartrique, malique, lactique, citrique…).
L’acidité volatile ne prend en compte que les acides capables de s’évaporer, dont l’impact est principalement sensoriel : arômes, piquant en bouche, perception d’un déséquilibre.
Alors que l’acidité fixe participe à la fraîcheur et à la structure du vin, l’acidité volatile, en concentration excessive, est associée à des défauts vin bien identifiés.
Tous les vins contiennent de l’acidité volatile, dans des proportions variables. Celle-ci résulte :
Dans des conditions normales de vinification, l’acidité volatile se stabilise entre 0,2 et 0,5 g/L d’acide acétique. Ce niveau est inoffensif, voire bénéfique pour certains styles. C’est au-delà de 0,9 g/L (valeur indicative pour un vin rouge) que sa perception devient dominante, au risque d’altérer la qualité organoleptique du vin.
Certains profils de vin tolèrent une acidité volatile plus élevée : les vins nature, vinifiés sans intrants ou avec peu de soufre, la présentent plus fréquemment. Toutefois, des vins élevés longuement en barrique, ou de style oxydatif, peuvent développer une volatile marquée qui participe à leur signature aromatique.
Dans ces cas, il ne s’agit pas d’un défaut à proprement parler, mais d’un choix stylistique assumé. Cela implique néanmoins une parfaite maîtrise technique de la part des vignerons pour que cette acidité volatile reste intégrée dans l’équilibre global du vin, sans en devenir l’élément dominant.
Pour détecter l’acidité volatile dans un vin, rien de tel que l’odorat et le goût.
Au nez, l’acide acétique en lui-même dégage peu d’arôme. Ce sont ses dérivés, en particulier l’acétate d’éthyle, qui attirent l’attention. Ces composés sont responsables de notes caractéristiques :
Ces arômes sont parfois confondus avec ceux issus de l’oxydation, mais s’en distinguent par leur intensité, leur tranchant et leur caractère plus chimique.
En bouche, la perception gustative vient souvent avant l’identification olfactive. Un vin présentant un taux élevé d’acidité volatile se manifeste par :
À la différence de l’acidité tartrique ou malique, qui stimule une salivation fluide et agréable, l’acide acétique peut assécher, voire irriter la bouche.
La sensibilité à l’acidité volatile du vin varie fortement d’une personne à l’autre. La moyenne de perception se situe entre 0,7 et 0,9 g/L d’acide acétique, mais certains dégustateurs expérimentés peuvent la déceler dès 0,5 g/L. Cette variabilité explique pourquoi certains perçoivent un vin comme déséquilibré, alors qu’il semble tout à fait harmonieux à d’autres.
Facteur | Effet sensoriel observé |
---|---|
Température de service | Un vin servi trop chaud exacerbe les arômes acescents (vinaigre, solvant, vernis). Donc méfiez-vous quand on vous sert un vin trop frais, l’objectif peut être de masquer les défauts ! |
Type de verre | Un verre large libère plus facilement les composés volatils perceptibles au nez. |
Aération prolongée | Certaines cuvées, si trop exposées à l’air, révèlent un défaut latent jusque-là discret. |
L’acidité volatile, bien qu’indésirable à haute dose, n’est pas un accident. Elle provient de processus naturels lors de la vinification. Elle est principalement le résultat de l’activité de micro-organismes, parfois amplifiée par certaines conditions physico-chimiques.
Dès le début de la vinification, les levures fermentaires (dont Saccharomyces cerevisiae) produisent de faibles quantités d’acide acétique. Cela fait partie intégrante du processus de transformation des sucres en alcool. Cette production acide reste généralement modérée (entre 0,2 et 0,4 g/L) et sans conséquence sensorielle. Cependant, certaines conditions accentuent cette production :
Ces facteurs créent un stress osmotique sur les cellules de levure. En réaction, celles-ci produisent du glycérol pour s’auto-protéger, mais ce mécanisme entraîne en parallèle la formation d’acide acétique.
Après la fermentation alcoolique, la fermentation malolactique (FML) transforme l’acide malique en acide lactique, ce qui permet d’adoucir le vin. Cette étape est conduite par des bactéries lactiques (souvent Oenococcus oeni), en général bénéfiques.
Mais si la FML est mal maîtrisée — sur un vin trop sucré ou trop chaud — certaines souches lactiques peuvent dégrader les sucres résiduels ou l’acide citrique pour produire une quantité excessive d’acide acétique. C’est ce que l’on nomme une piqûre lactique, redoutée par tous les vignerons !
En présence d’oxygène libre et d’un taux suffisant d’éthanol, des bactéries acétiques (notamment Acetobacter etGluconobacter) peuvent proliférer. Elles transforment l’alcool en acide acétique, parfois accompagné de la formation d’acétate d’éthyle. Ce processus, appelé fermentation acétique, est le mécanisme principal de piqûre acétique, responsable de la fameuse odeur de vinaigre ou de vernis à ongle dans certains vins déviants. Cette dérive est fréquente :
La colonie bactérienne forme parfois un biofilm en surface : la « mère de vinaigre ».
Les barriques, surtout anciennes, peuvent relarguer des acides acétiques par extraction du bois. De plus, le bois étant perméable à l’oxygène, un élevage mal géré favorise le développement bactérien. Certains styles (oxydatifs, vins de voile) acceptent ce type d’évolution. Pour d’autres, c’est une fragilité à surveiller de près.
Condition à risque | Effet |
---|---|
Températures élevées | Stimulent l’activité bactérienne et accélèrent les fermentations non maîtrisées. |
Moûts peu acides (faible pH) | Réduit la protection naturelle contre les levures et les bactéries indésirables. |
Vendanges botrytisées | Riches en glycoprotéines, elles favorisent la fermentation acétique si mal vinifiées. |
Matériel de cave non aseptisé | Contamination croisée possible par les pompes, tuyaux, cuves mal nettoyés. |
Important à noter : Le réchauffement climatique, en augmentant les degrés potentiels et les températures de vendange, accentue ces risques année après année.
En matière de dégustation, tout n’est pas noir ou blanc. L’acidité volatile est un parfait exemple de ce que l’on pourrait qualifier de composant ambivalent, qui fait à la fois partie des défauts du vin, et des éléments utiles. Des exemples récents l’ont illustré : cuvées déclassées, renvois en distillation, pétitions de vignerons contestataires… Preuve que la frontière entre caractère et défaut est aussi juridique, surtout dans l’univers du vin naturel.
Tantôt vecteur de complexité, tantôt source de déséquilibre, elle oblige à une lecture nuancée. Ce n’est pas tant sa présence qui pose question, mais son intensité, sa gestion et son intégration dans l’ensemble du profil aromatique.
Puisqu’elle est naturellement produite lors des fermentations alcoolique et malolactique, sa présence est donc normale, attendue même, dans toutes les cuvées. À faible dose, elle participe à l’équilibre et peut contribuer à soutenir l’aromatique, notamment dans des profils de vins très mûrs ou généreux.
Il est donc erroné de considérer l’acidité volatile comme un défaut systématique. L’acidité volatile devient un défaut du vin à partir du moment où elle est incontrôlée et s’impose dans le verre, jusqu’à masquer les caractéristiques propres au cépage, au terroir ou à la vinification.
Dans certains styles spécifiques, une acidité volatile modérée et maîtrisée peut apporter une tension en bouche bienvenue, voire un certain style affirmé, en phase avec l’intention du vigneron.
Cela se retrouve notamment dans :
Dans ces cas, l’acidité volatile n’est ni cachée ni accidentelle. Elle participe à une lecture stylistique cohérente, et peut susciter l’adhésion ou le rejet, selon la sensibilité des dégustateurs.
La réglementation européenne encadre précisément le niveau maximal d’acidité volatile autorisé dans les vins commercialisés. Ce paramètre est considéré comme un indicateur de stabilité microbiologique du vin. Lorsqu’il dépasse un certain seuil, le vin peut être refusé à l’agrément, déclassé hors AOC, voire interdit à la vente.
En France, la réglementation fixe les seuils suivants :
Ces valeurs sont exprimées en grammes d’acide acétique par litre, soit environ 14,7 à 16,3 milliequivalents par litre (meq / L).
De son côté, l’OIV recommande 1,2 g/L d’acide acétique (soit 20 meq / L) comme valeur de référence maximale d’acidité volatile dans un vin « standard ». Cela signifie que, au-delà de cette limite, un vin peut être considéré comme potentiellement déviant, sauf cas particulier. Toutefois, l’OIV reconnaît explicitement que certains vins spécifiques peuvent dépasser ce seuil sans être considérés comme défectueux, à condition qu’ils soient réglementés, suivis et issus de procédés traditionnels encadrés.
C’est pourquoi de nombreuses exceptions existent, notamment pour :
L’Union européenne permet aux États membres de notifier ces exceptions aux seuils standards via le règlement délégué (UE) 2019/934. Ces dérogations tiennent compte du style, du climat, des traditions vinicoles et du type de vin.Voici une liste non-exhaustive des limites maximales d’acidité volatile autorisées par pays, pour certaines appellations ou catégories de vins :
Pour la liste complète des appellations : lire l’Annexe 1 partie C du règlement
Pays | Limite max (meq / L) | Équiv. g/L (≈) | Exemples d’appellations et/ou mentions |
---|---|---|---|
Allemagne | 30 / 35 | 1,8 / 2,1 | Eiswein, Beerenauslese, Trockenbeerenauslese |
Autriche | 30 / 40 | 1,8 / 2,4 | Beerenauslese, Eiswein, Ausbruch, Trockenbeerenauslese, Strohwein |
Bulgarie | 25 | 1,5 | Sélections tardives (mentions nationales spécifiques) |
Chypre | 30 | 1,8 | Commandaria |
Croatie | 30 | 1,8 | Desertno vino, Moscato di Momiano, Tokajski izbor |
Danemark | 30 | 1,8 | PGI Sjælland (vins de raisins passerillés) |
Espagne | 19,95 à 40 | 1,2 à 2,4 | Rioja VT, Penedès, Málaga, Priorat, Ribeiro, Jerez, Valdeorras, Somontano, Campo de Borja |
France | 24,48 à 30 | 1,47 à 1,8 | Sauternes, Banyuls, Monbazillac, Saussignac, Alsace SGN/VT, Condrieu, vin de paille |
Grèce | 30 / 40 | 1,8 / 2,4 | Muscat (Samos, Patras, Santorini), Daphnes |
Hongrie | Jusqu’à 35 | Jusqu’à 2,1 | Tokaji Aszú, Eszencia, Szamorodni, Jégbor, Tokaji máslás, Tokaji fordítás |
Italie | 25 à 40 | 1,5 à 2,4 | Amarone, Recioto, Vin Santo, Moscato passito, Vendemmia tardiva, Vin Liquoroso |
Luxembourg | 30 / 35 | 1,8 / 2,1 | Vin de glace, vin de paille, vendange tardive |
Malte | 25 / 30 | 1,5 / 1,8 | IMQADDED typologies des PDO ‘Malta’ et ‘Gozo’ |
Pologne | 25 | 1,5 | Mentions traditionnelles autorisées (vins botrytisés, vendanges tardives) |
Portugal | 20 à 30 | 1,2 à 1,8 | Porto, Madeira, Setúbal, Moscatel Roxo, vins "late harvest" |
Roumanie | 25 / 30 | 1,5 / 1,8 | DOC-CT rouges, blancs, rosés — vendanges tardives, vins doux |
Royaume-Uni | 25 | 1,5 | Noble late harvest, special late harvest, botrytis (PDO) |
Slovaquie | 25 à 35 | 1,5 à 2,1 | Slamové víno, tokajské samorodné, výber z hrozna |
Slovénie | 27 à 35 | 1,62 à 2,1 | Vrhunsko vino ZGP, jagodni izbor, ledeno vino, vino iz sušenega grozdja |
Tchéquie | 30 / 35 | 1,8 / 2,1 | Výběr z bobulí, Ledové víno, Slámové víno, Výběr z cibéb |
NB : 1 g/L d’acide acétique = ~16,67 milliequivalents (meq / L)
Il est important de comprendre que légal ne veut pas dire plaisant. Un vin peut être conforme aux normes tout en présentant une volatile perceptible et désagréable. À l’inverse, certains vins légèrement au-dessus du seuil peuvent être parfaitement équilibrés si le style le justifie. La dégustation reste donc le juge ultime.
Un raisin sain est la première barrière contre les déviances. Plusieurs pratiques réduisent la population de bactéries indésirables et protègent le jus dès l’encuvage :
En cave, c’est bien l’hygiène qui est primordiale. Le matériel (cuves, pompes, tuyaux, pressoirs…) doit être scrupuleusement nettoyé. Le personnel en chai utilise généralement des produits désinfectants adaptés (soude, peroxyde, acide péracétique). Mais il y a toujours des zones à risque, notamment près du lieu de stockage des lies, les recoins des fûts, les flexibles, les flaques éventuelles, un seau sale oublié…
Du côté de la vinification, on cherche à obtenir un débourbage ajusté, en éliminant l’excès de bourbes sans carencer le futur ferment. Les vignerons n’ont pas besoin intrinsèquement besoin d’intrants pour protéger leurs cuvées, mais il existe bien sûr des solutions pour stabiliser et sécuriser les jus d’un millésime difficile par exemple.
C’est ensuite pendant la fermentation alcoolique que tout se joue : la majorité de l’acide acétique y est produite. On vise alors des températures modérées (16–20 °C pour les blancs, 20–26 °C pour les rouges). L’inertage à l’azote ou au CO₂, surtout en début et fin de fermentation, sont des pratiques possibles. L’aération par remontages ou bâtonnages est également recommandée. Toutefois, un excès d’oxygène, notamment combiné à l’alcool, peut être un appel d’air pour les bactéries acétiques.
Une fois la fermentation réalisée, on va essayer de maintenir la stabilité. Si la FML n’est pas souhaitée, cela passe généralement par un sulfitage justement dosé (20 mg/L de SO₂ libre dès la fin de FA), un refroidissement et/ou une filtration. S’il y a FML ou élevage en barriques, on s’assure que les fûts sont propres, lavés à haute pression ou à la vapeur et que l’ouillage (remplissage) est correctement fait.
Les vignerons procèdent ensuite à des analyses régulières par prélèvement pour surveiller la montée de l’AV, en test rapide mais surtout avec l’aide d’un laboratoire.
Et si l’acidité volatile commence à grimper, plusieurs solutions techniques existent :
Élément | Détail |
---|---|
Définition | Acides volatils du vin, principalement acide acétique, perceptibles au nez et en bouche |
Origine | Fermentations alcoolique et malolactique, oxydation, élevage en bois |
Perception sensorielle | Odeur de vinaigre, vernis à ongle, sensation piquante ou brûlante en bouche |
Niveau acceptable | ≤ 0,7–0,9 g/L en acide acétique selon le style et la couleur du vin |
Défaut ou style ? | Dépend de la concentration, du type de vin, de l’intention du vigneron et de l’équilibre |
Styles tolérants | Vins nature, oxydatifs, certains rouges méditerranéens |
Mesure | Exprimée en g/L d’acide acétique ou en équivalent H₂SO₄ |