Publié le :
06/08/2025 15:15:12
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Le goût de souris (GDS) est un défaut organoleptique sans danger pour la santé. Identifié depuis le 19e siècle mais encore mal compris, il suscite aujourd’hui un regain d’attention en raison de sa fréquence croissante dans les vins naturels, notamment ceux vinifiés sans sulfites ajoutés.
Contrairement à une oxydation ou une acidité volatile, il est imperceptible au nez et se manifeste uniquement après la mise en bouche, via la rétro-olfaction. Un vin paraissant sain peut ainsi dévoiler en quelques secondes une sensation souvent décrite comme un mélange de cage à hamster, de peau de saucisson, de popcorn rance, ou de riz trop cuit. Je vous propose un article de blog complet sur le sujet des goûts de souris afin de vous aider à comprendre et à détecter ce phénomène complexe de « vin sourissé » dans le verre.
L’expression « goût de souris », parfois employée au pluriel, n’est associée à aucune norme sensorielle officielle. Il s’agit d’une expression empirique née à la fin du 19e siècle pour décrire une sensation difficile à identifier, mais jugée désagréable dans certains vins. La première mention connue date de 1894 : le biochimiste allemand J.L.W. Thudichum évoque un « goût particulièrement déplaisant rappelant l’odeur d’un lieu habité par des souris ».
L’appellation s’est imposée naturellement parmi les dégustateurs, car ce défaut évoque des arômes secs, râpeux et persistants qui rappellent :
Cette analogie avec des odeurs d’animaux ou de lieux confinés explique la connotation négative et durable du terme. Le goût de souris n’est donc pas un goût « réel » de rongeur, mais une impression rétro-nasale qui évoque ces notes.
On pensait ce défaut disparu au 20e siècle, car maîtrisé grâce à des doses suffisantes de soufre (SO2) durant la vinification et la mise en bouteille. Mais l’évolution des pratiques œnologiques – notamment la réduction de l’usage du SO2 dans les vins nature – a remis en lumière ce vocabulaire sensoriel ancien, qui trouve aujourd’hui un regain d’actualité auprès des amateurs, des vignerons et des œnologues.
Le goût de souris connaît une recrudescence notable depuis quelques années, en particulier dans les vins dits « naturels », élaborés sans sulfites ajoutés et avec peu ou pas d’intrants. Cette réapparition s’observe dans de nombreux vignobles, en France comme à l’international : on parle de mousy taint / mousiness en anglais et de Mäuseln im Wein en allemand. Ce qui soulève des inquiétudes légitimes au sein des filières, notamment outre-Quiévrain et de l’autre côté du Rhin.
Par exemple en France, des enquêtes menées auprès des vignerons bio confirment la montée en fréquence du phénomène dans toutes les régions viticoles sans exception, avec des facteurs aggravants :
Les résultats sont bien sûr déclaratifs. Ils dépendent de la capacité de chaque vigneron·ne à identifier le défaut. Mais ils traduisent une tendance claire.
L’apparition du GDS résulte d’un ensemble complexe de facteurs, à la fois microbiologiques, chimiques et techniques. S’il est vrai que l’absence de sulfites ajoutés constitue un facteur de risque majeur, ce n’est ni le seul, ni forcément le plus déterminant, pris isolément. Voici les conditions les plus fréquemment associées à son apparition :
Mais il faut aussi préciser que cette altération est vraiment difficile à localiser dans le temps. Le goût de souris peut apparaître à n’importe quelle étape du parcours du vin :
Ce comportement erratique s’explique notamment par l’évolution de l’équilibre RedOx (ou équilibre de l’oxyréduction)du vin, ainsi que par la présence possible de microorganismes encore actifs après fermentation.
Depuis une dizaine d’années, la fréquence du défaut semble augmenter dans tous les vignobles, en France comme à l’étranger. Certains changements liés au climat et à la vigne pourraient donc entraîner le développement de ce défaut :
Le goût de souris n’est pas une entité chimique unique, mais le résultat de l’accumulation de plusieurs composés produits dans des conditions spécifiques, souvent liées à un déséquilibre microbiologique.
Trois molécules principales ont été identifiées comme responsables de ce défaut : ATHP, ETHP et APY. Leur perception varie selon leur concentration, leur forme chimique (imine / enamine), et le pH du vin et de la salive :
Nom abrégé | Nom scientifique | Rôle dans le défaut | Notes aromatiques | Fréquence de détection |
---|---|---|---|---|
ATHP | 2-acétyl-tétrahydropyridine | Principal responsable | Popcorn rance, riz cuit, peau de saucisson | Très fréquente, dominante dans les cas analysés |
ETHP | 2-éthyl-tétrahydropyridine | Moins intense que l’ATHP, souvent en combinaison | Arômes similaires à l’ATHP, parfois plus doux | Très fréquente, souvent avec ATHP |
APY | 2-acétyl-1-pyrroline | Rôle secondaire | Riz basmati, popcorn, peau de riz | Rare, détectée dans moins d’un quart des échantillons |
Les composés énumérés ci-dessus sont issus principalement de l’action de bactéries lactiques, et dans une moindre mesure de levures d’altération :
Une étude de l’IFV de Vertou près de Nantes en France a montré que :
Pour produire les molécules du goût de souris, les bactéries et les levures impliquées utilisent des acides aminés naturellement présents dans le raisin, en particulier la lysine et l’ornithine, comme substrats de synthèse. Ces acides aminés sont plus abondants lorsque le raisin est très mûr (riche en azote) ou quand le vin ou le moût contient un excès d’azote non assimilé.
Dans les vins touchés par le goût de souris, on retrouve aussi souvent d’autres composés qui témoignent d’une activité microbienne excessive :
La présence de ces marqueurs est généralement liée aux conditions peu favorables à la stabilité du vin que nous avons vues plus haut (absence ou faible taux de sulfites, fermentation alcoolique trop lente, mauvaise gestion de l’oxygène, etc.). Ces conditions permettent aux bactéries et aux levures de se développer de manière désordonnée, produisant alors les molécules responsables du goût de souris… mais aussi d’autres composés désagréables.
Bien que la voie microbiologique soit largement confirmée, une hypothèse chimique est aussi explorée : la formation des composés par réaction de Maillard (interaction entre sucres et acides aminés) dans certaines conditions œnologiques (oxydation, pH élevé).
Une étude autrichienne a mis en avant cette possibilité dès 2013, mais la recherche n’est pas unanime sur le sujet.Cette origine chimique pourrait expliquer certains cas où aucun microorganisme n’est détecté au moment de l’analyse, alors que le goût de souris est quand même présent.
Malgré les avancées scientifiques des dernières années, le goût de souris reste un phénomène mal compris. Si l’on connaît aujourd’hui trois des composés chimiques principaux impliqués dans ce défaut (ATHP, ETHP, APY), les chercheurs reconnaissent que d’autres substances pourraient également être responsables, ou au moins contribuer à la perception désagréable.
En 2018, les analyses menées par le laboratoire bordelais EXCELL ont révélé que dans de nombreux vins jugés « sourissés », les 3 composés classiquement associés à ce défaut n’étaient pas présents en quantités significatives. Cela suggère que le terme « goût de souris » est parfois utilisé de manière générique pour désigner des altérations microbiennes mal identifiées, faute d’un vocabulaire ou d’outils plus précis.
Et même pour les trois molécules reconnues, leur étude est loin d’être simple :
Enfin, les techniques de mesure sont encore limitées. Le dosage de ces composés en laboratoire reste délicat, rare et coûteux :
Cela entretient une certaine confusion dans les échanges entre dégustateurs, vigneron·nes et scientifiques. En résumé, bien que les molécules ATHP, ETHP et APY soient aujourd’hui les principales cibles des chercheurs, il est probable que :
Revenons-en à la description des goûts de souris pour vous aider à mieux les percevoir.
Ils ne sont pas perceptibles immédiatement, et surtout pas au nez. Contrairement à d’autres altérations comme l’oxydation ou l’acidité volatile, les composés responsables du goût de souris ne sont pas volatils au pH normal du vin (entre 2,8 et 4). Cela signifie qu’on ne les sent pas tant que l’on n’a pas pris une gorgée.
Pour qu’ils deviennent odorants, ces composés doivent entrer en contact avec la salive, dont le pH est bien plus élevé (entre 5,7 et 7,9 : 7,2 en moyenne). Ce changement de pH permet leur transformation en forme volatile (imine), qui est ensuite perçue via la rétro-olfaction – le petit canal qui relie le fond de la bouche au nez.
Ce processus prend du temps. Il faut souvent 10 à 20 secondes après la dégustation pour que le défaut se manifeste. C’est pourquoi, lors de dégustations professionnelles ou de salons, il est difficile d’identifier immédiatement le vin fautif, surtout lorsqu'on enchaîne rapidement plusieurs échantillons.
Le terme « goût de souris » évoque une sensation olfactive rétro-nasale sèche, râpeuse, désagréable et persistante. Elle est difficile à nommer et varie selon les sensibilités. Voici les descripteurs les plus fréquents évoqués en dégustation :
Famille aromatique | Exemples décrits |
---|---|
Animal / fermentaire | Cage de rongeur, hamster, vomi, charcuterie (peau de saucisson) |
Brûlé / séché | Popcorn, riz basmati cuit, riz grillé, amidon chauffé |
Humide / stagnant | Carton mouillé, humidité résiduelle, vieux plastique |
Fumé / rance | Fumé gras, vieux beurre, peau cuite |
Ce référentiel sensoriel est aujourd’hui plutôt solide, car les pyridines responsables de ces arômes sont également utilisées comme marqueurs de qualité dans l’agroalimentaire, notamment pour le riz basmati.
Les GDS font partie des défauts les plus inégaux en perception dans le monde du vin. Non seulement tous les dégustateurs ne le perçoivent pas de la même manière, mais certains ne le détectent pas du tout. Cette variabilité repose sur plusieurs facteurs :
Facteur | Impact sur la perception |
---|---|
Proportions des molécules présentes | Chaque vin « sourissé » contient une combinaison différente de composés (ATHP, ETHP, APY…), et aucun ne correspond à un arôme unique. La perception est donc variable. |
Moment de la dégustation | Le pH buccal varie selon l’heure, l’alimentation, ou l’hygiène bucco-dentaire. Un même dégustateur peut donc percevoir ou non le défaut selon les conditions du jour. La durée de contact entre le vin et la salive joue aussi un rôle. |
Génétique / anosmie spécifique | Une partie de la population présente une anosmie (incapacité à sentir une molécule) ciblée sur les composés responsables. On estime que jusqu’à 30 % des personnes sont partiellement ou totalement insensibles au goût de souris. |
Expérience préalable | Ceux qui n’ont jamais bu de vins naturels ou sans sulfites ne l’ont peut-être jamais rencontré. C’est un goût qu’on reconnaît avec l’expérience. Une enquête menée par l’IFV en Val de Loire a révélé que 36 % des vignerons interrogés déclaraient ne pas savoir identifier le goût de souris. |
Confusion fréquente avec d'autres défauts |
Certaines personnes disent pouvoir identifier le goût de souris au nez, ce qui est peu probable. En réalité, elles perçoivent certainement les marqueurs secondaires, comme : • des phénols volatils issus de Brettanomyces (arômes d’écurie, cuir, plastique chauffé)
|
Pour s’entraîner à reconnaître ce goût si particulier, il est possible de se familiariser avec lui dans d’autres produits fermentés naturels comme :
Ces boissons peuvent exprimer des arômes similaires. Cela constitue une porte d’entrée sensorielle plus accessible que le vin lui-même.
Le goût de souris n’est pas seulement difficile à détecter : il est aussi inconstant dans le temps. C’est très frustrant pour les œnophiles comme pour les professionnels de l’oenologie.
Des milliers de témoignages de vigneron·nes et de dégustateurs convergent : le goût de souris peut apparaître, disparaître… et réapparaître. Et à ce jour, aucune explication scientifique claire ne permet de comprendre ce phénomène. Certains vins :
Il est maintenant possible d’analyser en laboratoire la présence des molécules responsables du goût de souris. Ces méthodes ne sont pas encore officiellement normalisées, mais cela permet aux vigneron·nes et professionnel·les de l’oenologie de confirmer la présence du défaut.
Plusieurs techniques existent pour extraire et détecter les molécules, mais toutes ont le même objectif : repérer les composés clés dans un vin suspecté d’être « sourissé ». Voici un tableau non-exhaustif des principales techniques.
Nom de la méthode | Fonctionnement simplifié | Points forts | Limites |
---|---|---|---|
SBSE-GC-MS (barreau magnétique) | Un petit barreau trempé dans le vin absorbe les molécules, qui sont ensuite chauffées et analysées. | Analyse les 3 molécules en même temps. Très précis. | Nécessite un ajustement du pH. Un peu technique. |
HS-SPME-GC-MS (microfibre) | Une fibre capte les arômes dans l’air au-dessus du vin, puis on les analyse. | Plus écologique. Moins coûteux. | Ne détecte pas tous les composés à la fois. Moins sensible. |
LC-MS/MS (chromatographie liquide) | Le vin est séparé en composants, puis analysé avec une grande précision sans toucher au pH. | Très précis. Analyse complète et fiable. Pas besoin de modifier le vin. | Matériel complexe. Coût plus élevé. |
Techniques ciblées (ex. ACPI-MS/MS ou dérivation chimique) | Méthodes pointues visant une seule molécule (ATHP ou APY). | Haute précision sur une molécule donnée. | Ne détecte pas les autres composés. Moins utile seul. |
Des techniques plus artisanales et moins coûteuses existent aussi pour tenter de percevoir les GDS. Bien entendu, la fiabilité reste limitée.
Nom de la méthode | Principe | Avantages | Limites |
---|---|---|---|
Rétro-olfaction (dégustation) | Goût perçu uniquement après avoir avalé ou recraché une gorgée (via la salive) | Méthode naturelle, proche de la consommation réelle | Très variable selon les individus, nécessite entraînement |
Palm & Sniff | Mettre du vin sur la peau, puis sentir (le pH cutané augmente la volatilité) | Simple, rapide, peu coûteuse | Fortement dépendante du pH de la peau ; résultats inconstants |
Bandelettes à la soude | Bandelettes imbibées de soude (pH élevé) trempées dans le vin puis sniffées | Plus standardisé que la peau, méthode simple à mettre en place | Nécessite un peu de matériel ; dépend toujours du nez humain |
Oxydation du vin | Laisser le vin ouvert 24h pour faire ressortir les défauts | Ne dépend pas du dégustateur | Aléatoire : le défaut peut s’amplifier… ou disparaître complètement |
Pour pallier le manque de formation sensorielle, l’IFV de Vertou a développé en 2023 un kit pédagogique (coffret Les Sensorielles) pour familiariser les professionnel·les du vin et de l’oenologie à ce défaut. Son contenu est le suivant :
Élément | Utilité pédagogique |
---|---|
3 vinottes (5 cl chacune) | Vins sourissés (chenin, gamay, cabernet franc/gamay) pour l’entraînement à la dégustation |
Tube d’arôme de pandan | Reproduction d’une odeur proche du goût de souris (popcorn) pour l’identification olfactive |
Tube de bicarbonate de soude | À ajouter au vin pour en augmenter le pH et libérer les arômes moussus |
Bandelettes à la soude séchées | À tremper dans le vin puis à sentir (révélateur du défaut) |
Le goût de souris, une fois installé dans un vin, est extrêmement difficile à éliminer. Sa disparition naturelle est parfois observée, mais aucune méthode curative n’est fiable à 100 %. Des chercheurs ont testé une cinquantaine de produits correcteurs sur des vins reconnus comme sourissés : tanins, charbons actifs, dérivés de levures, mannoprotéines, PVPP, etc.
Certains produits réduisent temporairement la perception sensorielle du défaut (notamment les levures inactivées ou le charbon actif). Mais après quelques jours, le défaut réapparaît dans presque tous les échantillons.
La prévention dans la vigne et en cave reste pour le moment la seule voie sérieuse. Plutôt que de chercher à corriger un vin déjà touché, il vaut mieux éviter le problème à la source, comme par exemple :
Facteur à contrôler | Pourquoi c’est utile ? |
---|---|
Oxygène (vinification et élevage) | Trop d’oxygène favorise l’apparition du goût de souris |
Maturité des raisins | Récolter trop mûr → pH élevé → terrain favorable aux bactéries |
Contrôle des fermentations | Éviter les blocages ou fermentations trop lentes |
Élimination des sucres résiduels et excès d’azote | Moins de substrats pour les bactéries productrices des molécules |
Suivi de l’acétaldéhyde | C’est un cofacteur soupçonné dans la formation des molécules |
Utilisation de levures spécifiques (ex. Lachancea thermotolerans) | Produisent de l’acide L-lactique, inhibant le développement des bactéries lactiques |
Hygiène du chai | Évite la prolifération microbienne indésirable |
Le goût de souris est un défaut bien réel mais encore imparfaitement compris. Il n’est ni nouveau, ni exclusivement lié aux vins nature, bien qu’il y soit plus fréquent. Et tout le monde n’y est pas sensible de la même manière. Certain·es n’y voient pas de réel défaut, mais plutôt la nature à laquelle il faudrait se réhabituer après des décennies de vins travestis pour cause de surdosage de soufre. C’est aussi un point de vue qui se défend.
En tant que caviste, je ne dramatise pas la présence d’un goût de souris, mais je ne la banalise pas non plus. Certains vins passent par cette phase. Il m’est arrivé d’ouvrir une bouteille légèrement sourissée et de la retrouver magnifique quelques mois plus tard. Ce n’est pas une généralité, mais cela arrive. Lors de mes commandes, j’essaie donc de m’assurer que le vin est stable, et surtout qu’il respecte les attentes de mes clients.
Et vous, le goût de souris, y avez-vous déjà été confronté·e ? Faites-moi part de votre expérience en commentaire !