Publié le :
07/01/2025 20:05:43
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À l’occasion de ses 100 ans, l’OIV (Organisation Internationale du Vin) a dévoilé en 2024 une note de conjoncture bien terne pour son anniversaire. On y apprend que la production mondiale en 2023 était en baisse de 10 % par rapport à 2022, et avait ainsi atteint son plus bas niveau depuis 1961. Et côté consommation, la chute atteignait -2,6 % sur la même période. Tous les marchés sont touchés, notamment la France, et rien n’indique un changement de tendance pour les années à venir.
Je vous propose donc de faire un peu de prospective afin d’explorer l’évolution future du marché du vin. Que peut-on attendre de cette situation, et surtout, peut-on tout de même espérer des choses positives pour nous autres, consommateurs et consommatrices passionné·es ?
Peu importe par quel angle on l’observe, les marchés du vin sont en baisse générale. Rien de nouveau sous le soleil, puisque si l’on observe les tendances à une échelle large, cette baisse est entamée depuis des décennies. Je vous propose donc d’abord de découvrir quelques graphiques tirés du rapport de l’OIV pour illustrer la situation générale au niveau mondial.
Commençons avec la superficie où l’on constate que de nombreux arrachages ont été réalisés en raison d’une surproduction par rapport à la demande. Si la consommation baisse, mais que les consommateurs exigent toujours plus de qualité, tous les vignobles produisant en masse devraient donc disparaître petit à petit, jusqu’à atteindre un point d’équilibre.
Source : Note de Conjoncture Vitivinicole Mondiale 2023 OIV (page 6)
Vous trouverez dans le rapport un tableau très complet sur l’évolution des surfaces depuis 2018 pour les 25 principaux pays producteurs de raisins de cuve et de table. Mais voici un bref coup d’œil sur la tendance pour certains grands vignobles (en milliers d’hectares en 2023 par rapport à 2022) :
REDUCTION | AUGMENTATION | STABILITÉ |
---|---|---|
Espagne : -1,0 % (945 mha) | Italie : +0,2 % (720 mha) | USA : stable à 392 mha |
France : -0,4 % (792 mha) | Inde : +2,7 % (180 mha) | Australie : stable à 159 mha |
Chine : -0,3 % (756 mha) | Allemagne : +0,3 % (104 mha) | Moldavie : stable à 117 mha |
Turquie : -0,8 % (410 mha) | Grèce : +0,9 % (94 mha) | Russie : stable à 105 mha |
Argentine : -1,1 % (205 mha) | Brésil : +1,5 % (83 mha) | |
Roumanie : -0,5 % (187 mha) | ||
Portugal : -5,8 % (182 mha) | ||
Chili : -5,6 % (172 mha) | ||
Afrique du Sud : -1,9 % (122 mha) |
Côté production, l’année 2023 a été fortement impactée par les aléas climatiques (gelées précoces, fortes pluies, sécheresses…) couplés aux maladies cryptogamiques, et ce, dans les deux hémisphères. La baisse atteint 10 % en seulement 1 an, atteignant son plus bas historique depuis 1961.
Source : Note de Conjoncture Vitivinicole Mondiale 2023 OIV (page 9)
Mais comme vous pouvez le voir dans ma version condensée du rapport, la situation est très contrastée selon les pays (chiffres 2023 en millions d’hectolitres par rapport à 2022) :
REDUCTION | AUGMENTATION |
---|---|
Italie : -23,2 % (38,3 Miohl) | France : +4,4 % (48 Miohl) |
Espagne : -20,8 % (28,3 Miohl) | États-Unis : +8,5 % (24,3 Miohl) |
Chili : -11,4 % (11,0 Miohl) | Portugal : +9,8 % (7,5 Miohl) |
Australie : -26,2 % (9,6 Miohl) | Roumanie : +21,2 % (4,6 Miohl) |
Afrique du Sud : -10,0 % (9,3 Miohl) | Brésil : +12,1 % (3,6 Miohl) |
Argentine : -23,0 % (8,8 Miohl) | Moldavie : +27,0 % (1,8 Miohl) |
Allemagne : -3,8 % (8,6 Miohl) | |
Russie : -10,0 % (4,5 Miohl) | |
Nouvelle-Zélande : -5,8 % (3,6 Miohl) | |
Chine : -33,0 % (3,2 Miohl) | |
Hongrie : -2,1 % (2,4 Miohl) | |
Autriche : -6,5 % (2,4 Miohl) | |
Géorgie : -3,0 % (1,9 Miohl) | |
Grèce : -34,4 % (1,4 Miohl) | |
Suisse : +1,8 % (1 Miohl) |
Venons-en maintenant à la consommation de vin, le point central de notre article. Si le rapport de l’OIV parle d’une baisse globale de 2,6 % entre 2022 et 2023 (plus bas niveau depuis 1996), le graphique ci-dessous nous montre bien une tendance à la baisse depuis 2007.
Source : Note de Conjoncture Vitivinicole Mondiale 2023 OIV (page 12)
Je vous propose également la tendance 2023 par rapport à 2022 par pays, même si le tableau du rapport montre bien une baisse globale dans quasiment chacun de ces pays par rapport à 2018 :
REDUCTION | AUGMENTATION |
---|---|
États-Unis : -3,0 % (33,3 Miohl) | Espagne : +1,7 % (9,8 Miohl) |
France : -2,4 % (24,4 Miohl) | Russie : +3,0 % (8,6 Miohl) |
Italie : -2,5 % (21,8 Miohl) | Brésil : +11,6 % (4,0 Miohl) |
Allemagne : -1,6 % (19,1 Miohl) | Japon : +2,1 % (3,2 Miohl) |
Royaume-Uni : -2,9 % (12,8 Miohl) | Roumanie : +20,0 % (3,0 Miohl) |
Argentine : -6,2 % (7,8 Miohl) | |
Chine : -24,7 % (6,8 Miohl) | |
Portugal : -9,2 % (5,5 Miohl) | |
Australie : -0,1 % (5,4 Miohl) | |
Canada : -5,6 % (4,8 Miohl) | |
Afrique du Sud : -1,8 % (4,5 Miohl) | |
Pays-Bas : -9,2 % (3,3 Miohl) | |
Autriche : -2,1 % (2,3 Miohl) | |
Suisse : -3,0 % (2,3 Miohl) | |
République tchèque : -3,7 % (2,2 Miohl) |
Si vous souhaitez plonger plus en profondeur dans l’analyse des données entre 2000 et 2021, je vous invite à poursuivre votre exploration avec le rapport 2023 sur l’évolution de la production et de la consommation mondiale de vin par couleur de l’OIV. Les tendances pour les principaux marchés y sont mieux détaillées, et préfigurent les chiffres de 2024.
Et pour les fans de données statistiques qui veulent un aperçu complet des données par pays, ne manquez pas les tableaux ultra complets fournis par l’OMS, dont voici les liens :
En bonus : Je suis tombé durant mes recherches sur un GIF sympa qui présente l’évolution de la consommation de vin dans le monde depuis 1961. Dommage que cela s’arrête à 2009 !
Venons en maintenant aux explications.
Oh, je pense que vous, les consommateurs et consommatrices averti·es, vous les connaissez déjà. Il semble qu’il n’y ait plus que l’industrie viticole qui doive ouvrir les yeux sur une situation qu’elle a longtemps sciemment réfutée, à coup de statistiques, de tendances trompeuses et, pour certains pays comme la France, d’arguments commerciaux et marketing assez limites…
Signe des temps, au 2e trimestre 2024, 333 structures viticoles françaises ont fait faillite, essentiellement dans la région de Bordeaux, du Languedoc-Roussillon et de la Vallée du Rhône. Est-ce uniquement à cause de la concurrence étrangère du Nouveau Monde, des normes environnementales et sociales, des coûts de main d’œuvre, des taxes, entre autres arguments ? Ou tout simplement à cause d’un aveuglement généralisé ?
La statistique la plus évidente est sans aucun doute la consommation par habitant. Le graphique proposé par l’IWSR(International Wine and Spirit Research) montre bien la tendance, même si on peut noter l’absence de légende… Dans l’absolu, quel que soit le marché, le nombre de consommateurs de vin augmente. En revanche, les consommateurs boivent moins, et pour de très diverses raisons :
1. Santé et réglementation
2. Évolution des habitudes alimentaires et sociales
3. Diversification des options de consommation
4. Facteurs économiques et écologiques
5. Transmission culturelle et perception sociale
Dans ce graphique produit par l’INSEE en France, on constate une baisse générale de l’achat et de la consommation de boissons alcoolisées chez les Français depuis 1960, au profit des jus de fruits, sodas, cafés, thés et autres boissons non alcoolisées. Et que dire de la consommation du vin courant ! Pourtant, les Français continuent de placer le vin comme boisson préférée en 2024, juste devant la bière, avec une préférence pour le vin blanc, et une place toujours plus élevée pour le rosé et les vins effervescents.
En Belgique, la consommation de vin est plus stable. Si le nombre de consommateurs quotidiens diminue, le nombre de consommateurs hebdomadaires progresse. Selon l’agence française Ad’Occ, le vin en Belgique est devenu un produit plaisir, avec une demande accrue pour les vins du monde entier, principalement en Flandre, plus ouverte aux vins du Nouveau Monde.
Si vous souhaitez en découvrir davantage sur les habitudes de consommation de boissons en Belgique en 2024, je vous invite à poursuivre votre exploration avec le Baromètre de la consommation de boissons alcoolisées et non alcoolisées de l’Observatoire de la Consommation (Avril 2024).
Pendant des décennies, le marché du vin s’est structuré autour d’une idée séduisante mais irréaliste : celle d’une croissance constante et infinie, portée par l’augmentation de la consommation mondiale. Dans un tel monde pensé comme immuable, le système des AOP offrait naturellement la sécurité à des vignerons qui se sont parfois lourdement endettés…
C’était faire fi d’un principe hautement philosophique, attribué à Bouddha : « Il n’existe rien de constant, si ce n’est le changement ». À mesure que les tendances évoluent, que le changement climatique pèse, ce mythe s’effrite, révélant les limites structurelles et les défis auxquels la filière viticole doit faire face.
Dans les années 2000, la montée en puissance de marchés comme les États-Unis, la Chine ou encore l’Inde a alimenté l’idée que le vin pourrait continuer à conquérir de nouveaux territoires et élargir indéfiniment sa base de consommateurs. La croyance en une croissance continue a entraîné des investissements massifs dans des marchés perçus comme porteurs, mais dont la volatilité a révélé les limites. Mais aujourd’hui, la réalité est bien différente :
Ces reculs montrent que les marchés émergents ne sont pas la solution miracle pour compenser le déclin des marchés traditionnels comme la France ou l’Italie. Et comme il est précisé par la professeure Simone Loose dans le le rapport ProWein Business de 2023, « il va falloir accepter de produire moins », tout simplement. Et forcément, selon les vignobles, cela peut annoncer des crises comme en France, ou bien doper un secteur comme en Belgique.
Maintenant, je vous propose de laisser libre cours à notre imagination, un peu à la manière d’un document très intéressant de la maison anglaise Berry Bros. & Rudd qui proposait une vision ambitieuse à 50 ans de l’évolution du marché du vin : Future of Wine Report (2008 – 2058).
Je vous mets toutefois en garde : tenter de lire l’avenir à partir de tendances qui sont tout sauf stables (le Covid était inconnu à l’époque), c’est tout de même très hasardeux, même pour une entreprise en activité depuis plus de 300 ans.
L’évolution des tendances de consommation et des contraintes économiques soulève une question essentielle : le vin va-t-il devenir un produit réservé à une élite, laissant de côté une partie des consommateurs historiques ?
Les statistiques sont claires : les consommateurs réguliers de vin achètent moins, mais ils achètent mieux. Les chiffres montrent une progression constante des vins premium et ultra-premium, dont les prix, alimentés par la spéculation financière, ont parfois pu s’envoler sur certains marchés. Cette évolution n’est pas sans conséquence. En se positionnant comme un produit d’exception, le vin haut de gamme consolide son image élitiste, souvent hors de portée pour les budgets modestes.
Mais à mon grand étonnement, en lisant le rapport ProWein Business de 2023, j’ai appris que le vin d’entrée de gamme n’avait pas dit son dernier mot face à la premiumisation. L’essor des vins du Nouveau Monde et des vins d’anciennesrégions viticoles européennes remises en état a ouvert la voie à de nouvelles pratiques. On parle aujourd’hui davantage d’expérience, et l’expérience n’a pas besoin d’être chère pour être appréciée.
Ces bouteilles offrent souvent un excellent rapport qualité-prix, rendant accessibles des expériences gustatives diversifiées. Des pays comme le Chili, l’Australie, l’Argentine ou l’Afrique du Sud ont su bousculer les standards avec des vins de qualité à des prix compétitifs.
Et ils ont réouvert la voie à l’Ancien Monde, avec des vignerons qui apprennent à remettre en cause les systèmes d’appellation très rigides pour explorer d’autres voies : vin plaisir, vin de cépage, vin de pays, vin bio, vin local, vin nature, vin sans alcool, vin qui raconte une histoire, vin qui respecte l’environnement… Pour les passionnés de vin comme nous, cela signifie explorer de nouvelles façons de consommer, en mettant l’accent sur la découverte, la qualité et le respect de la planète.
Alors que j’ai créé Wines of Earth en 2015 avec toute la passion pour le vin que vous me connaissez, l’idée que je puisse parler d’un monde sans vin peut vous sembler absurde. Oui, ce dernier titre est volontairement provocateur, etj’aimerais vous rappeler que le vin a traversé les guerres, les crises économiques et les révolutions sociales.
C’est pourtant bien l’un des nombreux sujets abordés par le média Vinofutur qui s’aventure aussi sur le terrain de la prospective. Il est assez certain qu’une période d’équilibrage s’amorce pour réguler la surproduction actuelle. Ensuite, toutes les voies sont finalement envisageables pour les producteurs de vin et les consommateurs :
En tout cas, dans la région du monde catégorisée comme l’Occident, le vin est encore bien plus qu’une boisson : il est encore le reflet d’un art de vivre, de partage, d’un savoir-faire et d’un lien avec la terre. Il a donc encore un avenir qui, peut-être à la manière de la mode, connaîtra des vagues de retour en grâce auprès de plus jeunes générations qui se passionneront.
J’aimerais aussi vous rappeler que nous avons probablement perdu la trace de nombreux alcools au cours de l’histoire, et nous sommes toujours là, bien vivants, sans que cela ne nous tracasse trop. Pensez au cas du gin, autrefois relégué au second plan, qui a connu un regain d’intérêt auprès de passionné·es, développant à nouveau tout un marché.
Et même si cette dernière idée nous paraît peut-être saugrenue à nous, Européen·nes, je vous rappelle que l’on peut aussi techniquement vivre sans le vin, comme c’est le cas dans de nombreuses cultures.
Je veux dire par là que nous ne connaissons pas l’avenir, que le changement (et donc la surprise) est la seule chose constante en ce monde, et que rester ouvert à la nouveauté est la meilleure stratégie. Peut-être boirons-nous moins, différemment, ou dans des occasions plus spécifiques, mais quelles que soient les évolutions, le vin continuera certainement d’être une source de plaisir et de lien social, évoluant avec les attentes des consommateurs.
Et vous, qu’est-ce que la baisse de consommation du vin vous inspire ? Dites-moi tout en commentaire.
Renaud
12/02/2025 20:33:52
Bonjour. Votre analyse est très intéressante et pertinente. Vigneron de Bordeaux,J’ai écrit un ouvrage critique il y a 18 ans s’intitulant : « restera t il des vignerons à Bordeaux ? ». J’aimerais refaire un constat aujourd’hui. Pourrais je reprendre une part de votre article ? En citant ma source bien entendu. Cordialement Renaud JEAN