L'avenir du vin sans sulfites : où en est la recherche ?

Publié le : 25/07/2023 16:57:41
Catégories : General

L'avenir du vin sans sulfites : où en est la recherche ?

Les progrès de la recherche menés depuis une dizaine d’années en œnologie permettent d’envisager une utilisation vraiment réduite des sulfites ajoutésTechniquement, il est possible de s’en passer, et de nombreux vigneron·nes font déjà l’effort d’être très en dessous des seuils réglementaires.

Mais jusqu’où peut-on aller ? Quelles en seront les implications techniques et économiques ? Les consommateurs sont-ils prêts à consommer des vins aux goûts différents, peut-être plus fragiles voire même plus chers ?

Enjeu : moins de sulfites ajoutés pour protéger la santé

J’en ai parlé dans un précédent article, le vin sans sulfite, cela n’existe pas, puisque les sulfites sont un composant naturellement issu de la fermentation alcoolique. La quantité produite reste toutefois infime et souvent insuffisante pour protéger de l’oxydation à long terme les vins élaborés de manière conventionnelle.

Or, à ce jour, dans un schéma commercial dominé par la vente en grande surface, les vins doivent supporter le transport, le stockage, la lumière, tout en conservant leur goût. Le recours au SO2 (dioxyde de soufre, anhydride sulfureux) stabilise le vin et rassure tous les acteurs. Et pour le moment, aucun additif œnologique ne se substitue complètement à son usage.

Bien que l’Autorité Européenne de Sécurité Alimentaire estime que les sulfites sont des additifs sûrs pour la consommation, des résultats scientifiques manquent encore pour expliquer leur impact sanitaire à long terme. Or, l’emploi du dioxyde de soufre n’est pas anodin, surtout chez les utilisateurs professionnels des solutions œnologiques (vigneron, vinificateur, ouvrier viticole…).

Pour celles et ceux qui l’ont expérimenté, inhaler une solution soufrée, ou un fût de chêne tout juste méché, a un effet particulier : celui de vous faire bondir en arrière. C’est une odeur caractéristique qui règne dans les caves au moment des vendanges, particulièrement à la réception des raisins. Une exposition importante au soufre peut entraîner des irritations des yeux et des voies respiratoires, voire des irritations cutanées.

Côté consommateurs, certains individus peuvent avoir une sensibilité aux sulfites, entraînant des symptômes tels que maux de tête, éruptions cutanées, maux d'estomac et, dans les cas plus graves, des difficultés respiratoires. Cela concerne principalement les personnes asthmatiques.

Au-delà d'un simple effet de mode pour le vin naturel, il est surtout essentiel de protéger les utilisateurs professionnels, au même titre que les consommateurs.

Toujours plus d’attrait pour des vins plus naturels

L'engouement pour les vins avec des doses réduites d’additifs s'est développé en réponse aux inquiétudes croissantes vis-à-vis des effets potentiels sur la santéEn parallèle des vins bio et des vins en biodynamie, les vins nature sans sulfites ajoutés ont gagné en popularité.

Comme pour la nourriture, les acheteurs s’intéressent de plus en plus à la composition des produits. La nouvelle réglementation européenne sur l’étiquetage des boissons alcoolisées de 2021 va dans leur sens. À partir du 8 décembre 2023, chaque étiquette doit indiquer la liste des ingrédients et les informations nutritionnelles.

Les consommateurs vont donc pouvoir comparer les vins conventionnels avec les vins sans sulfitesEt cela pourrait motiver davantage de viticulteurs à repenser leurs pratiques, vignerons qui sont déjà majoritairement impliqués dans la réduction des intrants, à la vigne comme au chai.

Vins sans sulfites : les défis techniques de la production

Le défi de la production sans sulfites ajoutés reste entier.

Techniquement, pour se passer du sulfitage, il est nécessaire de suivre un itinéraire de vinification contraignant. Cela s’avère plus simple dans la production des vins rougesnaturellement moins sensibles. Les vins blancs, selon les cépages et les zones de production, sont plus fragiles :

  • précurseurs aromatiques sensibles à l’oxydation
  • manque d’acidité dans les vignobles méridionaux
  • problème de dérives d’éthanal et goût de souris

Il existe 4 phases majeures d’apports en cours de production :

  • le stade pré-fermentaire
  • le stade fermentaire
  • le stade post-fermentaire
  • le conditionnement

L’objectif est alors de trouver les alternatives au soufre à chaque étape afin de réserver les apports aux stades vraiment nécessaires, notamment au moment de l’embouteillage.

Quels leviers techniques au niveau de la vinification ?

Dans leur grande majorité, les vignerons ont déjà largement réduit les doses de sulfitage. Cela implique un travail au niveau des procédés physiques employés, ainsi que de l’environnement de travail :

  • hygiène maximale de la cave
  • maîtrise des processus fermentaires (températures, pieds de cuve) : éviter le développement de levures et bactéries indésirables
  • contrôle des apports d’oxygène : cuves d'oxygène inertes, réduction du contact du vin avec l'air lors de la mise en bouteille…
  • micro-oxygénation et utilisation d’autres gaz protecteurs (CO2, azote, argon)
  • microfiltration tangentielle, filtration à froid, centrifugation et flashpasteurisation
  • électrodialyse membranaire
  • champs électriques pulsés et UV-C
  • systèmes de bouchage piégeur d’oxygène
  • stockage en cave des bouteilles à moins de 15°C

Quels leviers chimiques au niveau de la vinification ?

Il existe aussi des intrants de substitutionappliqués sur la vendange ou dans le moût, comme :

  • l’acide ascorbique (vitamine C) : anti-oxydant, prévention de la casse ferrique
  • le lysozyme : action sur les bactéries lactiques
  • le dicarbonate de diméthyle (DMDC) : action anti-levurienne
  • le chitosane : élimination des brettanomyces (arômes d’écurie ou d’urine)

Le glutathion, naturellement présent dans le raisin, offre une protection contre l’oxydation des moûts. Il n’est pour le moment pas autorisé comme intrant. Le complexe argent colloïdalepour son action antiseptique, est en cours d’évaluation, mais la présence de nano-particules pourrait créer un danger sanitaire.

La bioprotection, à savoir l’utilisation de levures ou de bactéries sélectionnées, est aussi envisagée. Cette technique pourrait aider à limiter le développement des micro-organismes indésirables, sans avoir besoin d’employer d’autres intrants chimiques.

Cliquez ici pour découvrir dans le détail l’itinéraire technique complet de l’élaboration d’un vin sans sulfites proposé par Vignevin Occitanie.

Quels leviers naturels au niveau des vignes ?

Est-il nécessaire de rappeler que le bon état sanitaire de la vendange réduit considérablement les risques au niveau de l’itinéraire de vinification ? Obtenir des raisins sains, cultivés en agriculture bio ou biodynamique, sur des sols vivants et riches en biodiversité, est nécessairement un but à atteindre. Mais cela implique aussi davantage d'investissements en temps, en mécanique, en personnel, et donc une hausse des prix.

Vins sans sulfites : les défis économiques

Mais attention à rester ancré dans la réalité. Car les millésimes se suivent, mais ne ressemblent pas. Sécheresse, pluies, grêle… Le climat mène la vie dure aux vignerons du monde entier. Et il est compréhensible qu’ils souhaitent s’assurer des revenus en ayant un certain contrôleet sur les vignes, et sur la qualité finale de leurs cuvées.

Éliminer les sulfites ajoutés tout en maintenant la qualité, c’est une belle prise de risque économique. Tout comme s’affranchir des solutions phytosanitaires, naturelles ou de synthèse, en viticulture. Après tout, il serait difficile de vinifier en l’absence de récolte.

Les vins nature peuvent avoir des arômes très particuliers, dans le style des vins géorgiens ou de vins arméniens que je vendsLe goût peut aussi varier d’une bouteille à l’autre, au sein d’une même cuvée. Serez-vous quand même prêt·e à prendre le risque de les acheter, et à accepter l’éventualité d’une petite déviance ? Cela signifie que vous aussi, consommateur ou consommatrice, avez un rôle à jouer dans ce cheminement vers le sans soufre ajouté.

Perspectives : jusqu’où peut-on réduire l’apport d’intrants dans le vin ?

L'usage des sulfites va continuer à diminuer, mais il est peu probable qu'ils soient entièrement éliminés dans un avenir proche. Ils ont encore un rôle clé dans la prévention de l'oxydation et la protection contre les micro-organismes. Et bien que des alternatives soient en cours de développement, aucune ne peut actuellement rivaliser en termes d'efficacité, de coût et de sécurité sanitaire.

Dans un premier temps, les viticulteurs vont chercher à réduire au minimum le sulfitage, tout en soignant au maximum la qualité de leurs raisins. La production sans sulfites ajoutés rimera aussi avec des volumes plus faibles, et donc des coûts de production plus importants, impliquant des prix de vente plus élevés.

En parallèle, la consommation de vin va baisser, et les consommateurs pourraient privilégier l’expérience d’un vin nature à la conservation risquée de bouteilles en cave. Ils seront alors davantage prêts à dépenser entre 10 et 20 € pour une expérience unique.

À l’avenir, la législation autour du vin va aussi devoir évoluerCar son cadre juridique est principalement construit pour des vins conventionnels, avec des critères précis (teneur en alcool, en dioxyde de soufre et en acidité volatile). Un « bon vin » se définit aujourd’hui par l’absence de « défauts ». Or ces « défauts » (réduction, oxydation, acidité volatile, goût de souris, brettanomyces), sont le résultat d’un apprentissage culturel et des néoconsommateurs pourraient ne pas y être aussi sensibles.

Nous allons donc vers une ère exploratoire de la dégustation du vin. Les règles et les classements pourraient voler en éclats chez une partie des consommateurs, certains préférant la sécurité du millésime aux arômes proches d’une année à l’autre, d’autres optant davantage pour la surprise offerte par la nature.

Dans cet article, je n’ai fait que résumer les passionnantes expérimentations menées par des instituts et autres vignobles dans le domaine de la substitution des sulfites. J’espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à les découvrir.

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